Voici enfin arrivée l’ultime aventure, à laquelle trois ans de péripéties et de découvertes avaient mené. Parmi tous les merveilleux projets que j’étais fier de produire et de présenter jusqu’ici, je voulais que ce dernier soit plus personnel, plus humain . Ainsi considérai-je que maintenant était le moment le plus opportun pour parler de l’inclusivité sur Internet.
Avant-propos — L’écriture inclusive
À quelques mots de rentrer dans le vif du sujet, laissez-moi vous expliquer brièvement ce qu’est, du moins de mon point de vue, l’écriture inclusive dans la langue française.
L’écriture que l’on nomme “inclusive” désigne une forme d’écriture progressiste qui veut en premier lieu émanciper le rôle de la “femme” dans la langue française, et la mettre sur le même pied d’égalité que le genre grammatical masculin qui exerce sa prépondérance depuis des siècles et des siècles (CF : http://www.slate.fr/story/153675/ecriture-inclusive-masculiniste-grammatical).
Bien que son historique soit assez confus, elle consiste majoritairement en une série de plusieurs vagues, qui permirent petit à petit d’évoluer le langage dans une direction plus égalitaire, et qui persévèrent encore maintenant : situés au sommet de la crête d’une nouvelle vague, de nouveaux changements et de nouvelles formes grammaticales voient le jour afin de désormais mettre les deux genres grammaticaux sur le même pied d’égalité, mais aussi d’en inclure au minimum un autre, neutre, permettant non seulement d’identifier les personnes et groupes de personnes dont le genre n’est pas défini, mais aussi les personnes qui n’appartiennent ou n’adhèrent pas entièrement à cette binarité femme / homme.
L’écriture inclusive s’utilise de plusieurs façons spécifiques, bien qu’aucune règle ne soit explicitement déterminée.
- On retrouve l’emploi de doubles flexions, notamment rendues célèbres par le discours de Charles de Gaulle : “Français, Françaises, […] ;
- la féminisation de mots (notamment de métiers) qui n’étaient originellement qu’au masculin (auteur devient autrice, chef devient cheffe, et j’en passe) ;
- l’emploi de termes épicènes (droits de l’homme devient ainsi droits de l’être humain) qui est une technique fortement utilisée notamment en Allemand, pour contrer l’absence officielle d’un troisième genre neutre ;
- enfin, l’emploi de suffixes néologiques à la fin de chaque mot s’accordant selon le genre du sujet quand celui-ci n’est pas défini ou explicitement neutre (des hommes et des femmes engagé·e·s).
Cette volonté de changer la langue sera malheureusement contestée par grand nombre de personnes, qui jugent cette évolution comme “une perte de notre culture”, puisque de toute façon “le masculin l’emporte”. L’académie française ira même jusqu’à condamner ce pas en avant, le caractérisant de “péril mortel de la langue française”.
C’est précisément la raison pour laquelle je décidai de choisir ce sujet pour mon travail de fin d’année, pour prouver qu’une langue vivante n’a pas besoin de retracer ses racines pour continuer à évoluer, et qu’il est préférable de s’adapter afin de mieux accueillir les personnes qui pendant trop longtemps ont été négligé·e·s. Que ces poètes du XIXème siècle qui inventaient des néologismes à tout va n’étaient pas jugé·e·s, mais alors que nous avons l’opportunité d’inclure tout le monde dans notre dialecte, nous nous faisons lapider. Je veux leur prouver le contraire. Au diable la tradition, l’heure est venue de faire changer les choses.
Chapitre I — Tempête Cérébrale
Je vais commencer (enfin du moins, poursuivre) ma réflexion sur le sujet en décortiquant les différentes pistes que j’envisageai de réaliser, comme le corps professoral me le suggéra lors de la présentation du pitch.
Parmi les pistes que j’avais imaginées, on peut retrouver :
- une nouvelle police d’écriture permettant de faciliter l’emploi de l’écriture inclusive grâce à de nouveaux caractères ;
- un guide permettant de concrétiser une méthodologie précise afin de simplifier l’adoption du language épicène ;
- une expérience plus narrative ayant pour objectif de sensibiliser à cette forme d’écriture ;
- un outil permettant de transformer des articles déjà rédigés en ajoutant, là où nécessaire, des mots, formulations ou encore des suffixes épicènes.
Cette déconstruction révéla à la lumière du jour les nombreux problèmes que présentait chacune de ces petites idées, mais elle me permit de comprendre que je pouvais facilement associer plusieurs idées ensemble afin d’en déboucher une expérience intéressante qui pourrait sensibiliser les personnes non concerné·e·s à adopter une forme d’inclusivité dans leurs rédactions.
J’allais opter pour la piste me semblant subjectivement la plus pertinente, qui était d’associer l’outil pour les articles avec un côté narratif , dont je réaliserai les Top Tasks et les Tiny Tasks qui me donneront une ligne de conduite à adopter pour considérer l’avancement de mon projet.
Concernant le côté narratif, j’étais assez dubitatif quant à son incrustation avec l’outil : j’avais peur qu’il nuise à l’utilité que pourrait apporter ledit outil, à l’instar d’une cinématique que l’on ne sait pas passer dans un jeu vidéo.
C’est à ce moment-là que, suite à une discussion entre étudiant·e·s et professeur·e·s, fut suggérée la simple idée d’avoir une landing page, où je pourrai me permettre de présenter et donner vie à l’outil en employant un ton et une voix précise, invitant les personnes non concerné·e·s à l’essayer. C’est une idée qui me semblait assez intéressante malgré sa simplicité : elle était optionnelle, ne nuisait pas à l’utilité de l’outil tout en le présentant, et en convainquant lesdites personnes de l’essayer, ne serait-ce qu’une fois. Je pouvais déjà imaginer quelques méthodes pour facilement persuader mon publique cible, grâce à des témoignages/“success stories”de personnes concerné·e·s par ce type d’écriture qui expriment clairement à quel point l’écriture inclusive est importante pour eux et à quel degré cet outil peut s’avérer pratique ; ou bien alors au travers de datavisualisations basées sur des réponses de mon formulaire, ou bien de données récupérées sur les réseaux sociaux, et j’en passe.
Témoignages, que je réaliserai assez succinctement : après quelques messages publiés sur Twitter, je prendrais contact (vocal et écrit) avec quelques personnes directement concerné·e·s par l’emploi de l’écriture inclusive, qui répondront à mes questions et me décriront leurs ressentis, leurs vécus par rapport à cette nouvelle manière de communiquer. C’est justement au travers de ces expériences de vies que je pourrais, je l’espère, convaincre les personnes non concerné·e·s à comprendre pourquoi cette forme d’écriture est importante et que mon outil puisse la rendre plus pratique et plus simple.
Chapitre II — Langue et Culture
Parallèlement à la réflexion à laquelle je faisais référence dans le chapitre précédent, je pris le temps d’analyser les réponses obtenues lors de mon formulaire qui, à ma grande surprise, reçu davantage de réponses que je ne puisse espérer.
Cette analyse notamment me permit de découvrir les intérêts des personnes concerné·e·s et de celleux qui ne l’étaient pas à l’égard de mes différentes propositions, et il s’avérait que nos idées eurent convergé et que nos espérances coïncidaient : par une très faible majorité, l’outil modifiant les articles, ainsi que l’expérience plus narrative, étaient en tête de classement.
J’estimai également que, maintenant que les résultats étaient assez explicites et que le formulaire m’avait déjà permis de réaliser une étude du terrain, les User Research ne m’étaient plus vraiment très utiles et pouvaient être mis de côté pour ce projet (Je réaliserai de toute façon une forme de recherche utilisateur·trice au travers des différents témoignages évoqués plus haut).
Je mettrai ce temps gagné à bien en poursuivant ma recherche auprès d’une quantité incalculable de sources : j’essayais de me renseigner sur énormément de facettes de la langue en même temps, comme les problèmes que rencontrent les personnes diagnostiqué·e·s avec des troubles dys (pour lesquelles je remercie du fond du coeur Charlotte B. de m’avoir partagé ses cours de logopédie), la manière dont l’inclusivité et l’utilisation d’un troisième pronom (officiel ou non) sont perçu·e·s dans les autres pays, et j’en passe. J’en profiterai également pour réapprendre mon accord en genre et en nombre, qui représente, quand on y pense, la base la plus concrète pour moi réaliser un travail sur l’écriture inclusive.
Ces recherches (accompagnées plus tard des témoignages) me donneront non seulement un point de vue global sur cette forme d’écriture et la situation dans laquelle elle se trouve, mais aussi des précisions sur les lacunes qui nécessitent davantage d’attention, comme son côté peu pratique, notamment sous sa forme la plus moderne composée de points médians, de parenthèses ou de points tout court, qui jonchent le texte et qui brisent des terminaisons de mots. À défaut de proposer une autre solution ou d’inventer d’autres caractères qui seraient inutilisables pour de nombreuses raisons (éventuels problèmes de lisibilité, absent de n’importe quelle fonte à l’heure actuelle ou même du répertoire de caractères Unicode), je préférais travailler sur la praticité de l’écriture inclusive actuelle, et d’accepter ses défauts autant que ses qualités (cela ne m’empêchera pas de tenter quelques essais typographiques, comme je l’explique plus loin).
C’est ici qu’entrerait en jeu, à nouveau, cet outil de modifications d’articles, qui permettrait de faciliter la tâche aux rédacteur·trice·s et qui leur permettrait en très peu de temps soit de corriger leurs textes pour s’assurer de l’homogénéité du texte une fois finalisé (et écrit à l’inclusif), soit d’ajouter numériquement des points médians et autres formes inclusives çà et là dans leurs articles s’iels ne l’avaient pas fait au préalable.
Chapitre III — Premières Esquisses
Toute cette réflexion et toutes ces recherches évoquées dans les chapitres précédents me pousseront, très tôt, à expérimenter avec mes idées, les mettre en oeuvre, les voir se développer.
Inclusivité assistée par ordinateur
Ce sera anecdotiquement le cas, en premier lieu, d’un essai typographique : étant en train de nettoyer et préparer mes images pour les rajouter dans ce Case Study, j’effectuerai un malheureux petit coup de pinceau qui va donner naissance à un futile petit caractère. cette toute petite “erreur” me donnera l’idée de tenter la même technique sur toute une panoplie de lettres et de symboles et d’en retirer les plus intéressants.
Là où je commençais en reproduisant et analysant des caractères propres, à partir de reconstructions assistées par ordinateur, j’envisageai aussi, dans ma folie typographique, d’inventer un nouvel accent : celui-ci aurait pour objectif de se positionner au-dessus des suffixes se disant épicènes et permettrait de faciliter la tâche de lecture pour tout le monde. Malheureusement, l’invention d’un diacritique sous-entendait inventer un nouveau son et, quand bien même cela résoudrait-il, je pense, de nombreux problèmes qui persistent avec l’écriture inclusive dont notamment son exclusivité graphique, cela en soulèverait d’autres qui ne viendraient qu’encombrer davantage son utilisation.
C’est une piste que je ne poursuivrai pas plus loin étant donné que cela ne rejoignait pas ma volonté de rendre l’écriture inclusive plus pratique sur le web spécifiquement, mais cette tentative était toutefois intéressante et pourrait soulever de nouvelles questions et mener à de nouvelles recherches dans un autre sujet tout aussi intéressant : la phonétisation de l’inclusivité.
Déconstruction textuelle
Je poursuivrai ensuite mes expériences, en privilégiant cette fois-ci la piste de l’outil pour modifier les articles, que je pensais être la plus pertinente pour ce projet, comme je l’ai déjà répété maintes fois.
La méthode pour réaliser un tel outil, au premier abord, me semblait simple et logique : il fallait en premier lieu déconstruire le texte, le rangeant dans différents tiroirs s’emboîtant les uns dans les autres (allant de chapitre, paragraphe, phrase) pour ensuite analyser chacune des phrases et de déterminer si, en son sein, elle comportait un élément explicite permettant de déterminer le genre de son sujet, ou les pronoms qu’iel emploie. Si ce n’est pas le cas, le programme viendrait alors automatiquement remplacer les adjectifs et les pronoms auxquels ils s’accordent par des alternatives neutres et non genrées.
Bien évidemment, cette modification n’aurait, idéalement, lieu qu’uniquement si le sujet est confirmé comme étant une personne et non pas un nom commun (bien qu’il soit assez étrange de donner un genre à des objets inanimés, quand on y pense).
Je réaliserai ainsi quelques essais de développement, en commençant par la déstructuration du texte en phrases. J’utiliserai des méthodes et des outils que je n’avais jamais employé·e·s auparavant, comme notamment les expressions régulières, qui s’avérèrent très utiles pour la recherche et manipulation de caractères et mots au sein de chaînes [de caractères] (je me servirai du site Regexr afin de comprendre et de préparer mes expressions).
Ensuite, je viendrai mettre en place un tableau de données (comme suggéré par l’un·e de mes professeur·e·s), me permettant de vérifier la présence de mots-clés comme des pronoms personnels, des adjectifs ou encore des participes passés, tout comme de préparer des petites explications simples et concises afin de faire comprendre à l’utilisateur les raisons pour lesquelles des modifications furent effectuées.
Parallèlement au développement du coeur de l’outil, je poursuivrai la préparation des plus petites facettes (c’est-à-dire les Tiny Tasks) que je réaliserai très rapidement afin d’avoir des outils permettant de simplifier son maniement, y compris pendant la phase de développement.
Ainsi apparaîtront des options pour annuler les modifications, copier le texte modifié, ou la simple fonctionnalité de mettre en valeur le texte modifié . Ces petits détails, qui peuvent paraître futiles d’un certain point de vue, expriment déjà une volonté d’offrir aux utilisateur·trice·s une expérience intuitive, peaufinée, et accessible à tout·e·s. Ces fonctionnalités nécessitaient davantage d’attention et de raffinement quant à leur exécution, mais cela fait partie des éléments qui évolueront avec le temps.
Mood Design
Je vais délaisser temporairement la partie logique du projet pour m’attarder quelque peu sur la partie visuelle et esthétique, que je n’avais encore que très peu exploité jusqu’alors. J’avais une idée précise du style que je voulais adopter : minimaliste, simple et composé de lignes directrices ainsi que basé sur la typographie expérimentale tout en restant lisible et accessible. Je passerai donc quelques journées à explorer les internets en quête d’inspirations, de typos intéressantes et relatives au message que je veux faire passer, dont j’établirai un simple moodboard.
Je trouve assez intéressant le fait que l’on puisse déjà apercevoir une évolution graphique, minime pour l’instant mais significative d’un changement à venir : j’abandonnais les fontes sans serif grasses et les aplats de couleurs pour des serifs raffinées entourées de couleurs plus ternes, ce qui donnait un style moins enfantin et plus professionnel, tout en restant créatif et moderne. Ces fontes sont d’ailleurs issues de nombreux tests de couleurs de paragraphe qui sont toujours incomplets à l’heure d’écriture, mais qui continuent de se préciser et dont je dénicherai bientôt l’association finale.
Après quelques recherches supplémentaires, je parviendrais enfin à mettre des mots sur le style que je voulais appliquer : l’Art Déco.
Au premier abord, ce mouvement artistique peut s’avérer assez absurde et hors contexte, mais je pense qu’il partage quelques points communs avec mon outil notamment cette volonté de progrès, de modernité, faisant contraste avec les valeurs précédentes (alors promues par l’Art Nouveau à ce moment-là). Cela ne reste qu’une idée pour l’instant que je dois toujours explorer plus en profondeur, mais qui pourrait me servir de guide pour l’approche graphique de mon projet.
Content Design
Cette démarche esthétique entrainera, tel un effet papillon, l’élaboration d’un inventaire de contenu (que vous pouvez retrouver en cliquant ici) qui est par conséquent fortement inspiré des différents sites et autres sources d’inspirations que j’ai eu l’occasion de découvrir au sein de mes recherches susmentionnées. La page d’accueil était celle qui nécessitait le plus de réflexion : comment puis-je présenter en quelques lignes mon outil ? Quelles parties de témoignages allais-je utiliser pour réussir à convaincre les personnes qui ont besoin d’être convaincu·e·s ? Quelles données utiliser et comment ? Toutes ces questions auxquelles je n’avais encore pas de réponse n’allaient pas être adressées immédiatement, mais évoquent toutefois une approche que j’étais sûr d’opter et ma volonté d’expliquer aux personnes extérieur·e·s au milieu pourquoi cet outil (et l’écriture inclusive, par extension) pourrait leur être utile.
Chapitre IV — Fin du premier acte
Les deux premières semaines du TFE s’étant déjà écoulées, je suis assez content quant à la progression effectuée en matière de réflexion et de développement. Tout est amplement plus transparent et explicite qu’au début, et j’ai maintenant une vision plus concrète et claire du projet.
À présent, il s’agit de persévérer dans le développement de mes tâches principales, c’est-à-dire la modification des textes qui sont insérés dans l’outil, ainsi que la partie contextuelle qui la présente.
Les différents liens :
- Travail de fin d’année — Compte-rendu du pitch
- Travail de fin d’année — Case Study n°1 [Vous êtes ici]
- Travail de fin d’année — Case Study n°2
- Travail de fin d’année — Case Study n°3
- Travail de fin d’année — Case Study n°4
- Travail de fin d’année — Case Study n°5